THÈSE DE DOCTORAT
A. Ehrenberg (CNRS-Paris V)
E. Illouz (U. Jérusalem)
F. Nils (FUSL-UCL)
N. Zaccaï-Reyners (FNRS-ULB).
Cette thèse propose de développer des clés de compréhension permettant de saisir les raisons du succès des ouvrages de développement personnel, ainsi que leur signification sociologique.
Un premier chapitre porte sur la définition de la forme sociale qu'est le discours de développement personnel, en tentant de l'historiciser à travers l'étude de 3 univers du pensable dans lesquels cette forme a puisé : le protestantisme-méthodisme, le romantisme-transcendentanlisme et l'intérêt populaire et savant pour la causalité psychique.
Un deuxième chapitre porte sur les modèles qui ont classiquement été mobilisés en sociologie pour tenter de comprendre l'ampleur de ce succès : le modèle dit du "déclin" (entre autres Rieff, Lasch, Sennett, mais aussi Gauchet, etc.), et le modèle dit du "pouvoir" inspiré des travaux de Foucault (Rose, Castel, certains auteurs féministes, etc.). Après avoir présenté ces perspectives, le chapitre discute leurs limites et apories tant méthodologiques qu'épistémologiques, qui concernent l'interprétation qu'elles offrent d'un phénomène en méconnaissant un pan important de sa réalité : la réception des contenus par les lecteurs.
Un troisième chapitre vise à dépasser ces limites en construisant un modèle d'analyse qui permette de constituer l'expérience de lecture d'ouvrages de DP en objet d'étude sociologique. Pour cela, ce chapitre s'inspire de ressources développée en communication (reception studies), en sémiotique (Eco), mais aussi en théorie de la littérature (Iser, Jauss, Rosenblatt, Macé). On y propose finalement de conceptualiser l'expérience de développement personnel comme une rencontre entre un dispositif (le texte) et un lecteur qui manifeste une certaine disposition (en répondant aux "demandes du texte") qu'il faut maintenant analyser.
Un quatrième chapitre porte sur les aspects méthodologiques de récolte et de traitement du matériau qui servira à l'analyse de la réception. Il est constitué d'une cinquantaine d'entretiens compréhensifs, ainsi que de près de 300 lettres adressées par des lecteurs à des auteurs d'ouvrages de développement personnel. On y discute des avantages et limites de chaque type de matériau, ainsi que de l'intérêt de les traiter ensemble.
Le cinquième chapitre constitue le coeur de la thèse : il contient l'analyse du matériau à l'aune du modèle théorique préalablement construit. Le but est d'y développer la compréhension la plus fine possible des conditions de possibilité d'une expérience de développement personnel qui fait sens aux yeux de ceux qui lisent ces ouvrages. On y analyse le type d'attitude de lecture et le contexte dans lequel elle prend place, mais aussi la manière dont, concrètement, les lecteurs répondent aux demandes que leur adressent les ouvrages à travers l'étude de trois processus : leur connivence passive (le fait de trouver un ouvrage suffisamment crédible), leur coopération active (le fait de savoir retrouver sa propre situation dans le texte) et le respect des opérations extra-lecture (l'application des conseils donnés par le livre).
Le sixième chapitre porte sur l'interprétation sociologique des résultats de cette analyse. Il tente de cerner quelles sont les conditions sociales et culturelles qui permettent que du sens soit donné par des lecteurs lambda à ce genre d'expérience. Pour cela, on mobilise la notion wittgensteinienne de "grammaire" afin de comprendre comment les propos de ces ouvrages rencontrent chez les lecteurs une conception préformée du monde et de l'humain. Ensuite, dans le prolongement des derniers travaux d'A. Ehrenberg, on tente d'adopter une attitude fonctionnaliste qui permette de saisir comment le discours de Dp et l'expérience qui en découle sont les témoins d'une "nouvelle attitude face à la contingence" (P. Winch), qui organise de nouvelles façons d'agir et de subir les événements qui interviennent. On convoque également les travaux de Evans-Prittchard, Douglas et Favret-Saada sur la magie pour tenter de faire de celle-ci un équivalent fonctionnel du discours de DP.
Enfin, on pose la question de la posture sociologique qu'il convient d'adopter par rapport à ce phénomène, et du sens qu'il y a à développer une perspective critique.
La défense privée a pris place le 2 mars 2012. La soutenance publique a eu lieu le 25 avril 2012.